PORTRAIT DE FLORENCE CHEVALLIER par Magali Jauffret in "
Pour Voir ", janvier 2001, (extrait) :
Florence Chevallier avance. La maturité arrive dans sa vie et dans
son uvre. Que de chemin parcouru depuis ses autoportraits de jeunesse,
si tourmentés, si étouffants à force d'être
sérrés dans le cadre ! L'artiste avance. Même si elle
est toujours aux prises avec sa quête d'identité. Mais n'est-ce
pas le travail de toute une vie ?
(
) Florence Chevallier est parti d'un point où elle représentait
son corps pour aller, aujourd'hui, vers un point où elle représente
la ville, si sensuelle où elle est née (référence
à la dernière série de l'artiste intitulée
" Casablanca). Si elle n'est plus enfermée, si elle n'étouffe
plus dans le cadre, comme au temps des " Nus " (1984), de "
Corps à corps " (1987), de " Toublée en vérité
" (1987), de " La Mort " (1991) ou du " Bonheur "
(1993), elle n'en est pas moins au centre, en quête d'elle-même.
" Imaginez un travelling arrière dit-elle. Au début,
je montrais mon corps, puis mon visage, puis l'autre, avec moi, dans le
cadre. J'ai eu recours à des dispositifs tels que la peinture,
le miroir ou la mise en scène. Ces écritures formelles différentes
correspondent à une traversée de la psyché. Je ne
crois pas au regard objectif. Je suis toujours au plus authentique de
mon sentiment intérieur. C'est à chaque fois la même
histoire d'une identité qui se crée. Devenir sujet demande
l'attention de toute une vie. " Justement, " Les songes "
et " Des journées entières " (20002), précèdent
de peu le travail au Maroc. On ne s'en étonnera pas. La proposition
poétique des " Songes ", qui suit de très près
celle des " Philosophes ", dans lesquels le corps de la femme
enceinte a enfin trouvé sa place, met en scène, de façon
théâtralisée, des étudiants intéressés
par l'art. Mais l'intention de départ n'est-elle pas déjà,
de s'ouvrir à l'extérieur, d'embarquer pour des villes baroques
d'Italie ou pour d'autres, romantiques comme Salzbourg ?
Avec la série " Des journées Entières ",
le mouvement de l'émotion est enclenché. Les personnages
ne sont plus bloqués vers un ailleurs philosophiques. Moins contraints,
ils s'émancipent. (
)
Rencontre autour du thème de la Chair & Dieu
Propos Recueillis le 18 mai 2001à Paris
De 1986 à 1993, vous faites partie du groupe de photographes
" Noir Limite ", avec Jean-Claude Bélégou et Yves
Trémorin. Quelles furent les motivations de cette association ?
FLorence Chevallier : Nous voulions nous dégager de tout
ce que l'on avait alors l'habitude de voir à l'époque en
photographie. On sortait des années soixante-dix. Il y avait d'un
côté le règne du photo journalisme avec ses images
de reportage, prises sur le vif et de l'autre des plasticiens qui prenaient
en charge la photographie par leur travail.
Mais il n'y avait pas encore véritablement de photographe qui oeuvraient
vraiment dans le médium photographique.
Pour nous avec Noir Limite, le but était de vraiment considérer
la photographie dans sa dimension révélatrice.
Par quels moyens pensiez-vous atteindre cette dimension ?
FLorence Chevallier : Par un jeu très important entre le
Noir de l'image photographique et des effets de lumière. Les sujets
que nous abordions également permettaient de répondre à
cette attente : le " Corps à Corps amoureux " ou la "
Mort ", deux thèmes existentiels, entre autres incontournables.
Avec Noir Limite effectivement, nous avons toujours énoncé,
notamment dans le manifeste constitutif au groupe, que nous voulions redonner
à la photographie une profondeur. Alors que l'on sait bien que
la photographie est une affaire de surface.
L'image du corps chez Noir limite est celle d'un corps mis sous tension.
D'où le sentiment face aux photographies d'une présence
charnelle et émotionnelle intense ?
FLorence Chevallier : Dans Noir Limite, il y a toujours eu un
rapport à la photographie, à la fois passionnel et paradoxal.
Il y avait une volonté commune d'aller chercher l'intériorité
dans les images photographiques. Nous cherchions surtout à rendre
l'image d'une chair constituée dans son épaisseur, à
dépasser la simple enveloppe corporelle qu'est la peau.
La photographie devait rendre visible l'esprit, la profondeur de l'être.
Dans mon travail, la question de la chair est considérée
sous l'angle du rapport entre le corps et l'esprit. C'est une Chair tourmentée,
en proie à la pulsion, à la sexualité que j'exprime.
Mes photographies traitaient alors d'un conflit, d'un conflit intérieur.
A côté du travail photographique, Noir Limite proposait
aussi des performances. Vos expositions ont souvent été
organisées dans des lieux assez inattendu comme une abbaye, un
abattoir. Vous aviez une volonté de ritualiser la pratique photographique
? De lui donner une dimension de l'ordre du sacré ?
FLorence Chevallier : Par rapport au sacré, nous entretenions
là encore un paradoxe. On a toujours dit que nous étions
des religieux athées. Concernant les performances, il y a avait
quelque chose qui touchait d'une part à la dégradation de
l'image (un noir Limite des iconoclastes ? ?) et d'autre part un rapport
au sacré et au passionnel que l'on ressent dans le passage à
l'acte public. La performance permet aux artistes de se mettre en présence.
Pour ce qui est du choix des lieux, on a toujours aimé l'idée
de mettre notre travail dans un espace fort, un lieu fort, porteur d'histoire.
La série sur " La Mort " a été présentée
dans les anciens abattoirs du Havre. Le Bâtiment était extrêmement
intéressant du point du vue architectural et bien sûr symboliquement
très fort.
C'est la même chose pour un lieu de culte. Dans ce cas, comme pour
l'Abbaye du Havre par exemple, c'est notre histoire personnelle je pense
qui ressort. Personnellement j'ai été élevé
dans la religion catholique : catéchisme, messes
L'église
est un endroit où j'ai ressenti des émotions très
fortes liées à mon enfance. J'en porte des souvenirs forcément.
Les artistes, je pense, sont très sensibles à cet investissement
d'un moins traditionnel. Pour Noir Limite tel était le cas.
Il y a aussi une réalité contemporaine qui fait que ces
lieux sont réinvestis aujourd'hui par les institutions culturelles.
La lumière tient une place primordiale dans le travail photographique.
Comment la définiriez-vous?
FLorence Chevallier : Effectivement, je trouve que par l'éclaircissement
de l'uvre par elle-même et donc par la recherche sur tous
les procédés, et jeux de lumière possible, on met
en avant ce que l'on est, le rapport que l'on entretient avec la vie,
avec les autres.
C'est toujours je pense la recherche de la dimension révélatrice.
L'uvre d'art révèle ce que l'on ne connaît pas,
cette part inconnue de soi et du monde qui vient à la surface nous
faire signe, nous montrer des chemins possibles.
C'est une quête spirituelle ?
FLorence Chevallier : Le rapport avec la spiritualité est
bien sûr toujours à l'uvre. A certaines périodes
on se bât avec, on la repousse et à d'autres on sent bien
qu'elle se glisse, se faufile.
Dans mon travail, il me semble qu'elle s'exprime de plus en plus à
partir du moment où je ne figure pas moi-même dans l'image.
Un peu comme si en cessant de représenter mon propre corps, mon
apparence, j'avais laissé venir plus volontiers cette idée
de spiritualité dans mon travail.
C'est toujours assez gênant d'employer le terme de spiritualité.
Il fait parti d'un vocabulaire qui appartient à une catégorie
de gens, de pratiques religieuses et à une institution qui les
encadrent.
D'où la difficulté de parler de mon travail en référence
au sacré, au spirituel sans les mettre en relation avec d'autres
notions comme l'érotisme, la sexualité
Comme a su
si bien l'exprimer Georges Bataille. Cela permet d'établir un contrepoint
nécessaire.
La scission de Noir Limite a-t-elle provoqué un changement
radical de votre travail?
FLorence Chevallier : Noir Limite était un groupe composé
d'individus et d'individualités. A travers le groupe nous voulions
trouver une synergie de travail, mais nous avions nos propres travaux,
au demeurant nous n'avons pas signé en commun les uvres.
Quand nous avons dissolu Noir Limite, j'arrivais dans mon travail à
une période charnière.
J'avais toujours réalisé des séries nécessitant
un dispositif assez contraignant, clos et figé. Je me mettais en
scène personnellement. Cela devenait de plus en plus éprouvant,
notamment lors de la série sur le " Bonheur ". Ce travail
a attiré beaucoup de commentaires, a beaucoup fait parlé
de lui, a beaucoup été montré
Dans ma vie personnelle
il a littéralement provoqué une sorte de déflagration.
Après le " Bonheur " j'ai entamé une rupture à
la fois personnelle et vis-à-vis de mon travail.
Il était clair que je voulais changer le mode de représentation
des personnages photographiés : esthétiquement froid, sans
émotion
Je voulais prendre de la distance, être dans
un tout autre rapport.
En sortant du cadre photographique, et ne vous prenant plus comme
sujet
FLorence Chevallier : Oui, cette mise à distance me
permet d'être moins dans un rapport exhibitionniste, et de ressentir
peut-être mieux les choses de l'intérieur. C'est une drôle
de sensation que d'être toujours dans l'image, dans le regard. C'est
parfois un obstacle à d'autres formes de réflexion. Mais
on ne se refait pas quand on est photographe tout passe par l'image, et
la question de l'image a toujours existé dans l'histoire de la
religion, de l'art, et dans les questions que les êtres se posent
sur eux-mêmes : " Se représenter, regarder, voir, montrer
C'est de là qu'est né la série des " Communs
des mortels " ?
FLorence Chevallier : Effectivement avec cette série, j'ai
complètement abandonné la maîtrise formelle, le cadre
et j'ai commencé ce travail en photographiant dans tous les sens
des animaux, des journées à la campagne
Tout ce qui
se présentait à mes yeux, avec des couleurs très
disparates. J'ai ainsi fait une sorte de banque d'images. J'ai alors procédé
à un tri et fait un choix à partir de ses véritables
séquences - un peu comme si je réalisais un clip vidéo
- J'ai travaillé sur le montage de ses images.
Cela m'a donné une grande liberté. Je trouvais là
un moyen de me reposer des questions sur des choses moins agréables
de soi-même, du rapport à l'animalité, à la
mort, à la dégradation des éléments. Toutes
ces formes emboîtées et mêlées, inspirées
par le règne végétal, animal et humain m'ont permis
de trouver un contre-pied radical à la série sur le "
Bonheur ".
On ressent dans votre travail un grand apaisement à partir
de la série intitulée "Enchantement ", un retour
aux sources?
FLorence Chevallier : " Enchantement " est en fait arrivé
après la série des Philosophes qui figure également
dans cette monographie. " Les Philosophes " sont réellement
le début d'une première renaissance. En 1994, Une femme
enceinte m'a proposée à quelques jours de son accouchement
de poser. La référence à l'iconographie religieuse
est très présente ici. Cette photographie rappelle les représentation
des madones, les Annonciations
avec le double paysage - un double
espace mis en relation avec l'idée d'attente et la très
forte lumière qui vient du dehors et éclaire le modèle.
Et c'est à partir de cette image que le goût des prendre
des photos m'est revenu. La série sur " Les Philosophes "
est partie de là. Il y avait pour moi deux grandes figures de philosophes
: ceux qui parcourent le monde et pensent le monde en marchant
et
ceux qui pensent le monde en le regardant assis derrière une fenêtre.
Cette attitude me correspondait un peu - à cette époque
en tout cas -
Qu'observent ces personnages depuis leur fenêtre ?
FLorence Chevallier : Les éléments qui composent
la nature. La symbolique des éléments est souvent mise en
avant. Il y a dans cette série toujours un rapport entre le feu
et l'eau. Les modèles sont souvent mis en situation face à
un lac, un feu, une forêt, une montagne, de la pierre
Ce sont
des figures emblématiques des rêves et des cauchemars. J'ai
attaché un souci très particulier à la représentation
de la nature.
Avec " Enchantement " (1995-1998), votre univers s'ouvre
littéralement à la nature, vos personnages la savourent
non plus isolés derrière leur fenêtre, mais ils se
retrouvent et profitent de que la nature peut leur offrir. Un peu comme
si vous nous livriez ici l'image du Jardin d'Eden ", d'une joie retrouvée
en famille
FLorence Chevallier : Le Jardin d'Eden était un thème
déjà présent dans la série du " Bonheur
", mais je dirais d'une façon peu aimable. C'est en effet
un des thèmes récurrent de mon travail. C'est peut-être
même cela qui me fait prendre des photographies :
retrouver le bonheur des origines, celui que l'on a perdu.
Les " Enchantements " sont aussi une sorte de retour à
l'enfance notamment dans le troisième volet où les personnages
sont descendus dans la caverne. Pour moi c'est l'image de l'enfance de
l'humanité. L'enfance est le moment où l'on était
heureux - simplement - Je voulais représenter cet espèce
de sentiment d'un Idéal, d'un moment idéal dans l'existence
qui ferait référence à l'enfance également
de l'humanité et à tous les mythes qui touchent à
nos origines et très souvent d'une façon " merveilleuse
", " idyllique ".
La notion de famille s'ouvre à la fin de la série. Il n'y
a plus que le couple, mais la notion de tribu apparaît et tout d'un
coup il y a une nouvelle dynamique qui s'installe.
J'ai commencé à animer mes personnages, à évoquer
la possibilité de nouer des relations entre les uns et les autres,
et avec l'environnement dans lequel ils se rencontrent.
Le site officiel de Florence Chevalier : florencechevallier.blogspot.com/
....Vers
l'oeuvre.
.......Vers
la présentation de l'artiste ....
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