Rencontre autour du thème de la Chair & Dieu
Propos Recueillis le 19 avril 2001 à l'atelier Calder - Saché
-
- Vous utilisez différents médiums dans votre travail.
Mais que vous réalisiez des performances ou des installations,
je pense notamment aux "Spirit objects", votre démarche
est toujours orientée sur la mise en évidence des limites
du corps. Pouvez-vous nous préciser cette recherche.
Marina Abramovic: J'utilise des techniques très variées
dans mon travail. Le plus important pour moi est l'Idée que je
veux exprimer. J'emploie pour cela les matériaux qui me semblent
les plus appropriés.
Au départ dans mon travail de performance, je cherchai à
utiliser toutes les possibilités que le corps offre et je les poussais
jusqu'à des limites. L'idée récurrente est que rien
n'est permanent. Je m'intéresse beaucoup à la Philosophie
bouddhiste. Les textes et les idées développés par
le Dalaï-Lama m'influencent énormément. Je trouve dans
sa pensée une résonance avec ce que je mets en jeu dans
mon travail.
Je cherche avant tout à démontrer que le progrès
humain ne peut être atteint que par l'homme lui-même, par
sa propre énergie - contre l'idée d'un progrès qui
ne serait qu'affaire de techniques - Le progrès émane d'une
quête intérieure, propre à chaque individu. Ce progrès
peut s'atteindre par l'expérimentation, l'expérience des
actes et des actions. Tout mon travail tourne autour de ces notions et
cherche à étendre les possibilités de l'être
humain.
J'aime que l'art intervienne dans la vie quotidienne, d'où des
uvres qui utilisent des éléments de ce quotidien:
"Energy Clothes", la "Chambre d'opération des âmes,
la "Maison", la "Spirit room".
Pour moi l'artiste est un serviteur de la société dans laquelle
il vit. L'art est comme une thérapie, par lui tu prends conscience
du corps, de ton corps, de l'univers
L'art est un instrument pour
avoir une expérience. C'est pour cela que j'ai réalisé
des performances où comme à l'occasion de rites sacrificiels,
j'éprouvai les limites de mon corps. Je me plaçai toujours
en situation extrême, jusqu'au sang.
Aujourd'hui avec les "Spirits objects" je suis passée
à une autre étape. Ce n'est plus les limites physiques que
je recherche mais surtout les limites mentales.
-Les rituels, les symboles
et la spiritualité font partie
de votre vocabulaire. Comment vous situez-vous par rapport à cela?
Marina Abramovic: Dans une vidéo je mange un oignon.
L'oignon représente la vie. Je mange ma vie. Beaucoup de mes actions
présentent ce type d'associations symboliques. Je joue de références:
le serpent c'est l'énergie
Beaucoup d'artistes détestent utiliser le mot "spirituel".
Pour moi au contraire il est très important à la source
même de mon travail. Il ne faut cependant pas le confondre avec
le terme "religieux" qui lui renvoie à l'institution,
au pouvoir
J'ai un problème avec cela.
- Vous revendiquez-vous en tant que femme-artiste?
Marina Abramovic: L'art est unisexe. J'aime la pièce
de Robert Filliou présentant trois portes sur lesquelles on peut
lire : Toilettes pour Hommes / Toilettes pour Femmes et Toilettes pour
artistes. Voilà tout est dit. Rien à ajouter (rires).
Dans ma culture, et en Yougoslavie, la femme a une place importante. Ma
mère était dans l'armée. Je n'ai jamais été
touchée par les revendications féminines jusqu'à
ce que je m'installe en Italie au milieu des années soixante-dix.
Mais cela ne m'a jamais profondément marquée.
- L'art militant, les revendications par l'art ne sont donc pas des
choses qui vous animent?
Marina Abramovic: Je n'ai jamais pensé que l'art doive
réagir face à l'actualité. La démarche artistique
appréhende la société de manière plus globale.
L'artiste doit longuement l'observer. Il est un grand observateur des
faits, des systèmes, des actes humains
Matisse a peint des Fleurs pendant la seconde guerre mondiale. C'est sa
manière à lui de s'être engagée. Et je pense
sincèrement cela.
L'artiste est un enfant curieux. Il ne doit pas, selon moi, être
dans une attitude d'arrogance. C'est une réaction trop directe.
- Quand vous avez réalisé "Balkan Baroque"
pour la Biennale de Venise en 1997 pour le pavillon yougoslave, vous vous
êtes quand même clairement exprimée sur une douloureuse
épreuve?
Marina Abramovic: Certes la situation des Balkans me touchait
d'autant que je suis d'origine serbe. Tous les os empilés faisaient
clairement référence au conflit. Mais il s'agissait surtout
en interrogeant la barbarie, de donner plusieurs niveaux de lecture. La
référence est valable pour toutes les guerres, les charniers
Toutes les questions sur notre rapport à l'environnement, à
sa destruction par l'homme lui-même m'intéressent. C'est
surtout de cela dont je traite. La technologie est une tragédie
pour notre société. Nous sommes dépendants vis-à-vis
de cela et les conséquences en sont assez terribles.
....Vers
l'oeuvre
............Vers la présentation....
.. ........ Po
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