Artistes en dialogue dans "La Chair et dieu" |
ABRAMOVIC Marina
Présentation générale de l'artisteLa vie et l'uvre de Marina Abramovic ne font qu'un.
Figure de prou du Body Art (art corporel), ses premières performances
étaient une forme de rébellion contre son enfance stricte (ses
parents étaient des partisans de Tito) ainsi que contre la culture répressive
dans la Yougoslavie de Tito. Elle mena d'ailleurs au début des années
soixante-dix des actions purement politiques.
Dans ses performances, Marina Abramovic mettra à l'épreuve ses
propres limites physiques et psychiques, avec des objets dangereux et des médicaments.
En 1974, elle enroule par exemple un python autour de sa tête comme un
turban, et se couche au centre d'une étoile de flammes (Rythm 5, sélection
n°3).
Entre 1976 et 1988 elle travaille en duo avec l'artiste Ulay (né en 1943
à Solingen). Ils réalisent ensemble toute une série d'actions
: "Les relations works", ou le couple n'a de cesse de questionner
les identités sexuelles et les rapports de forces qu'ils sous-tendent
au travers de performances en galerie ou dans des espaces publics.
Abramovic & Ulay prennent en compte l'espace, le temps et le corps. Les
performances impliquent le spectateur à participer à une situation
vécue par les artistes en même temps. Le temps est déterminé
par la durée qu'ils peuvent endurer (qui peut être quelques minutes
ou plusieurs jours). Les performances d'Abramovic et Ulay prennent fin à
l'épuisement d'une action "symbiotique", (ou à la fermeture
du lieu d'exposition). Ils sont parfois nus, parfois habillés; à
l'intérieur ou à l'extérieur, voire entre les deux (entre
montants d'une porte). Parfois ils prononcent des ordres, qui déterminent
la nature de l'action (Go... Stop... Bach... Stop, Melbourne, mai 1979), mais
il n'est jamais question d'une narration.
Au commencement de chaque performance, par un commun accord, les artistes sont
"unis" physiquement et mentalement. La fin par contre marque la séparation,
le moment ou les artistes ne sont plus en union, dans l'impossibilité
d'endurer la "fusion".
Relation in Space ( sélection n°4)
est une performance où les deux artistes se sont lancés l'un contre
l'autre, les corps nus, répétitivement pendant une heure. Leurs
corps nus se croisent, s'effleurent, se touchent et se frottent. Ils se percutent
l'un sur l'autre selon un rythme de plus en plus rapide, et de plus en plus
vite, jusqu'à ce qu'ils s'entrechoquent de manière violente.
Un bon nombre des performances d'Abramovic et Ulay marchent sur ce principe
de synchronisation, où les artistes tentent de dissoudre le "moi"
dans l'altérité.
Dans Relation in time (octobre 1977 - sélection n°5), Marina et Ulay se tiennent pendant dix-sept heures adossés l'un à l'autre. Leurs cheveux sont entre-noués, montrant symboliquement ce que Catherine Grenier appellera "l'artiste à deux têtes", au sujet des duos artistiques. Au départ ils sont physiquement attachés en tant qu'être à deux têtes. Les cheveux se dénouent petit à petit.
Tous les relation-works sont situés entre deux pôles le masculin et le féminin. Ils parlaient d'eux-mêmes comme d'un "androgyne". La notion d'androgynie qui selon les féministes, devait rendre possible l'égalité entre les rôles masculins et féminins traditionnels. Marina et Ulay adressaient cette problématique individuellement et puis en couple.
Pour Marina "l'être humain parfait est hermaphrodite, car c'est moitié femme moitié homme, mais aussi un univers complet ... Nous sommes homme-et-femme".
En 1980 ils mettent en scène ce qui est potentiellement la mort du couple,
dans Rest Energy (1980 Video, 4:12 min, noir/blanc). Debouts face à face,
Abramovic tend un grand arc tandis qu'Ulay vise son coeur avec la flèche.
Ils sont immobiles, tous deux penchés en arrière, pendant plusieurs
minutes. Un microphone amplifie le son de leurs battements de cur. Lesquelles
deviennent de plus en plus rapides à mesure que la tension et l'adrénaline
augmentent. Ainsi l'énergie cachée dans l'immobilité imperturbable
de leurs corps est révélée. Ici, leur inter-dépendance
est donc présente dans un ensemble où ni l'un ni l'autre ne pourraient
s'absenter.
La performance Communist Body, Capitalist Body (parfois appelée Communist
body, Fascist body 1979) met en uvre non seulement leurs différences
de sexe mais aussi celles de leurs origines. Les deux artistes se sont endormis,
sur des matelas séparés. Onze personnes connues d'Abramovic et
Ulay étaient invitées dans une salle privée d'Amsterdam,
à 23 heures 45, (le 29 nov. 1979). Ils ont trouvé les deux corps
des artistes silencieux et immobiles, comme des objets. La responsabilité
à toute action était abandonnée aux spectateurs. Deux petites
tables à proximité étaient recouvertes de nourriture et
de boissons provenant soit de pays socialistes soit de pays capitalistes, invitant
les spectateurs à une célébration qui ne peut qu'exclure
les artistes. C'est une performance qui met en scène la différence
des origines culturelles et idéologiques de Marina et Ulay en même
temps qu'elle est un hommage au Rashomon de Kurosawa. Les références
aux relations entre les différentes cultures vont être progressivement
de plus en plus présente dans leur travail. Les uvres du couple
glissent en outre vers l'immobilité de leurs corps, dans des sortes de
tableaux "mortes-vivantes", dans lesquels s'insèrent des objets
symboliques. Les oeuvres d'après 1980 sont des performances quasi-ritualisées,
chargées d'une symbolique plus philosophique, culturelle, et politique.
Ils voyagent beaucoup et se confrontent ensemble à d'autres civilisations.
La marche sur la muraille de Chine sera la dernière performance que Marina
Abramovic et Ulay réaliseront ensemble en 1988. Ils marchent le long
du mur séparément, partant de bout opposé, pour se rejoindre
au milieu, et se séparer enfin. La marche dure trois mois, et traverse
les 4000 km de la Muraille de Chine, via le désert de Gobi. Ils se rencontrent
sur un pont dans la province de Shaanxi, le 27 juin 1988. Au moment de leur
rencontre sur la muraille, ils se séparent paradoxalement dans la vie.
Leurs performances subsistent en forme de Polaroïds, cibachromes, et installations.
Ils n'ont jamais cessé d'enregistrer leurs performances en vidéo,
sur film
Ces documents sont les seules traces aujourd'hui de leur travail
commun.
Depuis Marina Abramovic poursuit en solo son travail et utilise divers médias
comme la sculpture, la photographie, l'installation-vidéo. Mais la performance
est toujours présente. Son corps reste l'instrument de sa passion, de
ses amours et de ses haines: automutilation au rasoir pour imprimer dans sa
chair une étoile de sang et hurlements jusqu'à briser sa voix
(Bellystar, sélection n°6)
Marina Abramovic travaille avec différents matériaux et médias:
Performance, installation, vidéo, le corps est "Un lieu de sacrifices
et de légendes. Je crée des situations sans intermédiaire
entre l'artiste et le public. La performance n'est pas une disparition, mais
au contraire une présence au monde. C'est une façon de renouer
avec des cultes primitifs et des rituels."
La mutilation de son propre corps à coup de rasoir marque la trace de
l'inscription d'un conflit qui, de fait, s'incarne littéralement à
la manière d'une transe.
Le corps perd son unité, se fragmente. Il doit se "refaire"
(au sens d'Artaud), pour lutter contre la désorganisation qui le guette.
L'uvre qui correspondait le mieux au thème de la Chair et Dieu
selon elle est celle qu'elle présenta en 1997 à la Biennale de
Venise. Une performance intitulée "Balkan Baroque" (sélection
n°1
et 2)
pour laquelle elle reçut le Lion d'Or de la Biennale.? Comment ne pas
voir que ses liturgies d'ossuaires de sang et de chair ont anticipé la
violence qui allait aboutir à l'éclatement de l'ex-Yougoslavie?
"Certes la situation des Balkans me touchait d'autant que je suis d'origine
serbe. Tous les os empilés faisaient clairement référence
au conflit. Mais il s'agissait surtout en interrogeant la barbarie, de donner
plusieurs niveaux de lecture. La référence est valable pour toutes
les guerres, les charniers
Toutes les questions sur notre rapport à l'environnement, à sa
destruction par l'homme lui-même m'intéressent. C'est surtout de
cela dont je traite.", nous a confié Marina Abramovic.
Dans cette uvre, la réduction de l'humanité à un cannibalisme féroce renforce la portée politique du théâtre de la cruauté que sont les conflits armés.
Une trentaine d'années après le début de ses expérimentations,
l'artiste continue une uvre sans concession tout en tenant compte des
innovations technologiques actuelles. Ses dernières photographies sont
indéniablement tournées vers un corps mis en fiction. Elles s'inscrivent
dans la droite ligne d'images d'un body art violent. Image de scarifications
sur un ventre de femme (sélection n°7),
image de l'artiste dans une jungle avec un couteau à la main (sélection
n°8),
image de visage immergé sous un tas de copeaux de verre (sélection
n°9),
sont autant de perceptions du corps intime exposé à la société.
Mais contrairement à ses happenings radicalement dénonciateurs
d'une certaine phallocratie des années soixante-dix, l'artiste choisit
aujourd'hui un mode d'action plus équivoque et métaphorique pour
stigmatiser une situation qui reste pour elle inacceptable. Des références
à l'intime ou à la subjectivité sont mobilisées
pour faire entrer le visiteur dans un monde énigmatique et onirique,
parfois visuellement proche des peintures les plus sombres de Velázquez
ou Goya
L'expérience directe du corps du spectateur n'est pas abandonnée
pour autant. La vidéo Mambo, Magnetic Dance (sélection n°10)
présentée à la Galerie Cent8 à Paris en 2002 nous
invite à un cours de danse mambo : d'abord à chausser une paire
de mocassins magnétiques, puis à imiter les mouvements de l'artiste
projetés sur un écran géant. L'installation devient participative,
mais seule la présence du spectateur est concrète. Marina Abramovic
joue le rôle d'une femme fatale désabusée effectuant avec
un détachement mécanique les mouvements d'une danse supposée
suggestive. En voulant imiter ses mouvements le visiteur ne peut qu'expérimenter
la lourdeur de sa propre démarche entravée par ses chaussures
qui adhèrent à la piste de danse magnétique.
L'artiste-femme-fatale nous domine. Elle se meut avec aisance alors que nous
sommes absorbés dans nos tentatives ridicules de bouger nos pieds. Plus
que jamais elle retrouve métaphoriquement sa position d'être supérieur
dont la modernité l'avait - semble-t-il - déchue. Elle redevient
seule capable d'agir jusqu'à atteindre au sublime dont l'homme sans qualité
est radicalement exclu. Est ainsi ironiquement dénoncée l'hypocrisie
des travaux contemporains qui prétendent placer l'artiste et le spectateur
au même niveau dans le dispositif de l'exposition.
Marina Abramovic met aussi en scène l'impossibilité de communiquer par le corps autre chose que des rapports de forces. Expériences des mouvements, mais aussi expérience de la téléprésence d'un corps accessible par l'écran sont ici convoquées.
Se joue ici encore l'implacable constance des impossibilités. L'artiste
nous engage dans un manège pervers tournant sur lui-même comme
une machine folle sans issue.
Présentation générale
de l'artiste
Expositions
et bibliographie
Interview
Échos des membres d'ACF : - (pour les commentaires spécifiques, se référer à ceux libellé ACF)
Il est toujours difficile d'avoir une opinion
de performances et d'installations à travers un écran de poste
informatique...
Toutefois on peut percevoir ici l'expression d'une violence ressentie par l'artiste,
et qu'elle nous transmet à travers ces quelques images.
Violence que la société
fait subir à l'être... Comment nous mêmes y réagissons-nous?
- en nous retranchant dans le train-train quotidien - en pensant que tout cela
n'est qu'une mode,
qu'un modernisme et que rien ne vaut l'Art, avec un grand A...
Quelque soit notre réaction devant ces images, nous savons que cette violence existe et que vivre en l'ignorant ne peut que lui permettre d'augmenter...
Sélection du courrier des lecteurs sur cette oeuvre
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